Le Rayon Vert

Dans le Théétète de Platon, à l’occasion d’une digression sur le difficile statut du philosophe dans la cité, Socrate relate une anecdote devenue célèbre : celle de Thalès contemplant les astres et tombant dans un puits.

A l’égal de la servante thrace qui s’amuse du savant perdu dans la contemplation, l’image du « sachant » inapte est déjà un topos à l’époque – pré-covid… – de Platon.

Platon, l’homme qui enseigne sous l’olivier, joue de la mise en abîme. De cette mélodie en sous-sol et en sur-sol, nait, chemine et procède le raisonnement.

N’est-ce point l’olivier de variété Koroneiki du côté de Kalamata, qui montre la voie d’une pensée positive ? Lui, qui de l’abîme draine le sens vers le soleil et les étoiles. Sa sève nourrie des profondeurs – les nutriments issus des restanques pourpres et rocailleuses – s’élevant vers le ciel par ses branches, ses feuillages et ses fruits.

Dans la famille de moulinier Millionis, la connaissance nait du labeur, elle honore l’arbre et l’homme.

Au cœur des ténébreuses nuits de décembre, dans la montagne dominant la baie illuminée de Kalamata, au détour d’une courbe, le moulin à huile de la famille Millionis donne naissance au rayon vert.

Si les soirs d’été, à l’horizon de la plage de Kardamyli, le rayon vert annonce les dernières lueurs du soleil couchant ; dans le ventre de leur moulin à huile, il claironne, au cœur de l’hiver- helios invictus – la renaissance et la connaissance.

Des paresseuses et lourdes presses à huiles figées dans le temps, jaillissent un flot d’émeraudes sirupeuses et chatoyantes. L’huile d’olive nouvelle irradie les sens. Soleil liquide en bouche, il allume l’oeil du gourmand d’éclats solaires et dorés.

Ainsi, cette précieuse huile d’olive de Kalamata, prouve avec Platon, que des profondeurs racinaires de l’olivier renait l’astre solaire, au cœur de l’hiver.

par Bruno Verjus, chef-proprietaire du restaurant Table, à Paris 12ème
crédit photo Guillaume Chauvin